Vérités  sur  l'Algérie...

                                        ...d'avant 1962.




                    " Peut-être que votre professeur d’économie vous a enseigné que la pauvreté du Tiers-Monde est l’héritage de la colonisation. Quel non-sens ! Le Canada a été une colonie,
                   comme l’Australie, la Nouvelle-Zélande ou Hong-Kong. En fait le pays le plus riche du monde, les Etats-Unis, fut jadis une colonie. Par contraste, l’Ethiopie, le Liberia, le Tibet,
                    le Sikkim, le Népal et le Bhoutan ne furent jamais colonisés et pourtant ils abritent les populations les plus pauvres du monde…
 » 
                     
Walter William -  Africain Américain  Professeur d'économie à l'Universitée de Virginie (Etats Unis)






 
 
 
           

                                                        Les Colons et les Pieds Noirs 2         


Les Pieds-Noirs communistes ne sont pas passés à l'extrème droite, ils sont devenus des défenseurs de l'Algérie Française. Il y a là 
Affreville, l'histoire d'un village, semblable à beaucoup d'autres en Algérie, racontée par   Marie ELBE (Source Historia Magazine n°199)
AFFREVILLE :   VILLAGE  DE  COLONS

  Commençons par le pire. Par la fin. Le village français d’Affreville est mort en juillet 1962. Il avait cent quatorze ans. C’est jeune pour un village. Pour Affreville, c’était la pleine croissance. Nous partions en laissant derrière nous des chantiers, silencieux, des projets anéantis, des dossiers inutiles. Portée par sa devise favorite : « Il n’est pas nécessaire d’espérer pour entreprendre », la municipalité de ce village avait tellement entrepris, dans les dernières années, qu’elle s’était reprise à espérer. Jusqu’au bout, on tira les plans sur le cadastre. Si bien que, l’agonie venue, restaient encore à bâtir quatre nouveaux groupes de H.L.M, un aérodrome, une caserne, un hôtel des finances, une station de pompage, sept aqueducs, un pont à tablier en béton armé, encore un groupe scolaire et une église neuve. L’ancienne, née avec le village, avait reçu un rude contrecoup du tremblement de terre d’Orléansville, en septembre 1954. Peu de temps avant qu’une église ne serve plus de rien à Affreville, en 1960, le Conseil Municipal décide pourtant qu’ « un avant-projet sera incessamment soumis par MM. les architectes Barrault et Di Martino (un merveilleux tandem qui nous promet une belle réalisation) ; les idées générales et maîtresses données par Mgr Duval, archevêque d’Alger, à la nouvelle équipe, nous permettent de penser que toute diligence sera faite pour la pose de la première pierre, sous un avenir très rapproché ».

   On ne posa jamais la première pierre. L’avenir d’Affreville tourna court dès la signature des accords d’Evian, le 18 mars 1962. Comme l’armée leva le camp avec une avance notoire sur le calendrier, les rangs de la rébellion s’étoffèrent brusquement de tous les partisans de la dernière heure. Bref, en un mois, une vingtaine de français sont enlevés, dont certains ont la gorge tranchée au fond des oueds. On perd la trace des autres. Dès lors, les gens d’Affreville  se demandent à quoi peut bien rimer leur présence dans ce patelin du haut Chélif, entre Alger qui prenait le bateau et Oran qui se sabordait. Le village ferma donc ses portes, ses bistrots, ses boutiques, sa mairie, son église provisoire, son stade, sa piscine, ses écoles, les grilles du monument aux morts, le portail des docks-silos, le cinéma, la salle des fêtes. En définitive, resta, comme seul chrétien, la statue en bronze de Mgr Affre, inaugurée en grande pompe il n’y avait pas si longtemps et qui bénissait un silence dévasté. Voilà. C’était fini...


                                                 Affreville vue aérienne 01
                                                           Affreville vue aérienne.

  Alors vinrent les premiers colons…
  Au commencement, il y eut les Romains. Le village s’appelait Malliana. A ne pas confondre avec Miliana, qui en ce temps-là portait le nom de Succhabar.
Malliana. Un village de potiers fixés sur cette terre argileuse, ce qui expliquera que trois briqueteries aient pu s’installer à Affreville, au moment de l’ère française. Une tuile ronde, trouvée au village, révéla son origine romaine. Elle portait, gravés, les mots forma imbricis ( type de tuile creuse).
  Par la suite, des fouilles entreprises dans un dessein autre que d’archéologie, mirent brusquement au jour une pierre sur laquelle on lisait une inscription célébrant la victoire d’Aelius Aelianus, gouverneur de la province de Maurétanie césarienne, sur une tribu (déjà) rebelle de la chaîne des Babors à l’extrême limite du commandement d’Aelius Aelianus. Pourquoi ce monument dédicatoire, élevé à Malliana plutôt qu’à Caesarea (nom romain de Cherchell) ?  Peut-être rappelait-il aux légions romaines, qui passaient souvent par là, les combats glorieux d’Aelius….

  Puis, les Romains partis, Malliana s’effaça, au cours des siècles. Alors, vinrent les premiers français. Tout commença par cinquante feux. Cinquante familles de colons originaires de Paris et que la France expédia là, en 1848, dans le cadre des fameuses colonies agricoles fondées par le Général de Lamoricière, ministre de la Guerre dans le cabinet Cavaignac. Un coin de terre brûlée, à 141 km d’Alger. Ces premiers colons là cultivèrent le murier, élevèrent des vers à soie, fondèrent une magnanerie, à mi-distance entre ce qui n’était pas encore Affreville et ce qui était déjà Miliana, ville arabe que l’armée avait soumise et oû elle avait installé une petite garnison.

  Le blé remplace les jujubiers..

  Le 14 novembre 1848, le gouvernement français décide de donner à ce hameau de cinquante feux, le nom d’Affreville. D’une plume fière, le premier maire, un certain Dr Méot, inscrivit sur les registres :
  Ce nom perpétue la mémoire de Mgr Denis Affre, archevèque de Paris, mortellement blessé sur les barricades, oû il était allé porter des paroles de paix, le 25 juin 1848.

  En 1851, Napoléon III est au pouvoir. Sur ordre du gouvernement impérial, on installe à Affreville un camp de détenus politiques. Les quarante-huitards, On leur ménage comme travaux forcés, l’ouverture des routes de la plaine du haut Chélif, prise entre le mont Zaccar et les premiers contreforts de l’Ouarsenis. Alors commence seulement le terrible travail de défrichement entrepris par les colons. Là, il n’y a pas de marécages, comme dans la Mitidja, mais des terres couvertes d’immenses touffes de jujubiers épineux et de palmiers nains. Peu à peu, des fermes se construisent. Ces temps héroïques n’étaient pas si reculés qu’on n’en eût encore des échos, à Affreville. Une famille qui s’appelait Napoléon, débarqua, nantie d’une concession de 36 hectares, en bout de route, du côté de l’Ouarsenis. Le grand-père, qui vivait encore en 1958, avait dix ans, quand il arriva en carriole avec ses parents :

« Il n’y avait rien !! Trente-six hectares de broussailles ! Je me souviens que mon père et ma mère se laissèrent tomber sur un talus, avec leurs balluchons, et que ma mère se mit à pleurer de désespoir ! »

  Dans cette plaine là, les variations de température peuvent atteindre trente degrés par jour. En hiver, le thermomètre descend à 0 degré, souvent. En été, le mercure grimpe jusqu’à 47 degrés à l’ombre, Bien ! Le temps passe, le blé remplace les jujubiers et l’année 1872 donne lieu à des festivités particulières.


                                                  jujubier 01   jujubier 02
                                                                 Jujubier

  Un genre de village texan..
  Le 14 septembre, le village devient une commune de plein exercice. Bref, il devient majeur. Et le 1er mai 1872, le premier train Alger-Oran passe en gare d’Affreville. La gare n’est encore qu’une baraque en planches. Par la suite, on la construira dans le style de toutes les petites gares de province, en France. Et bien plus tard, quand Affreville sera la grande gare du blé, contrôlant toute la plaine, flanquée de docks-silos, les trains stopperont devant des bâtiments rappelant la Provence, avec un luxe de tuiles rondes et de fer forgé. Cette gare a décidé du destin du village. Elle en a fait le centre d’une région de culture de céréales et, en 1948, un siècle après sa fondation, les cinquante feux sont devenus 12 061 habitants, dont 2082 européens, et 9979 musulmans. Peut-être faut il maintenant présenter ce village.
  Le voyageur de passage pouvait le trouver laid. C’était un long village mille-pattes. Une immense rue principale, bordée de faux-poivriers, à l’ombre maigre, qu’on appelait rue d’Orléansville, alors qu’en fait on l’avait baptisé avenue Mgr Affre. Mais comme elle menait à Orléansville… Sur cette longue rue venaient se brancher des ruelles, dont les unes, à bâbord, montaient jusqu’à la voie de chemin de fer, et dont les autres, à tribord, descendaient vers la plaine. C’était sans doute un village laid, mais terriblement actif, entreprenant, turbulent.

                                                                           Affreville vue aérienne 02
                                                                                        Affreville.

  
  Un genre de village texan, avec autant de bistrots que pouvaient en souhaiter les buveurs d’anisette, et autant de cafés maures qu’en pouvaient espérer les joueurs de dominos.

  Autant de temple qu’il y avait de cultes, c’est à dire, une mosquée, une synagogue, une église. Six écoles, un hôpital militaire, un centre de santé et une maternité. Un cours complémentaire, un cours secondaire et une école professionnelle agricole.  Sept associations sportives, allant de l’OA (Olympique Affrevillois), pour le football, à l’A.S.B (Association sportive des boulomanes), de S.C.A (Sporting Club Affrevillois), pour le tennis, à la « Joyeuse Raquette » (ping-pong). On inaugura la piscine par des lachers de ballons et un corso fleuri. Dans la presse, ce jour-là, les correspondants locaux des journaux d’Alger firent du style :  « Sur le plongeoir de la splendide piscine, orgueil de la municipalité, va s’élever la montgolfière « Affreville », annonciatrice de la joie et de la gaieté qui dominèrent en maîtresses, les fêtes de la ville »


  Nous reviendrons aux fêtes. Après les travaux. Affreville vivait au rythme des colons, dont le jour était le jeudi. C’était la journée des affaires. Les Arabes appelaient Afreville K’hmis (le jeudi) pour cette raison-là. Le jour des affaires et du marché aux fruits et aux légumes. Les colons accouraient de tous les coins de la plaine. C’était le jour des banques, des achats de matériel, des commandes de bourellerie, de ferronnerie, le jour faste des bistrots et des restaurants. Chose étrange, on pouvait voir, alors le plus riche colon de la plaine arrêter sa Mercedes devant le café du « Coq-Glorieux » pour y déjeuner, sur un coin de table, d’un peu de pain et de charcuterie, avec un vieil Espagnol de son âge. L’un avair réussi, l’aitre moins. Mais, entre les deux hommes, c’était un rite. Ils se retrouvaient le jeudi comme aux premiers jours de leur aventure.
  Le rythme des colons, c’était le rythme des saisons. Dans ce patelin où la pluie était rare, on attendait la pluie à partir de janvier. Il arrivait que janvier passât à sec, et février, et mars. Année de mauvaises récoltes, cinq ou six quintaux à l’hectare. Année d’emprunts aux banques et de vaches maigres pour le commerce. Mais quand la pluie tombait, une allégresse particulière secouait Affreville. On prévoyait le douze ou le quinze à l’hectare. Les affaires reprenaient. Et le récolte vendue, les fêtes d’Affreville- nous y venons- pouvaient préparer leurs feux d’artifice. Ce ne sont pas de vains mots. Ruggieri, le « grand artificier d’Alger », venait planter ses décors autour du kiosque à musique.
« Féerique ! » comme disaient les Afrevillois.

  C’était une débauche d’ampoules et de guirlandes, de drapeaux et de fusées. Et trois jours de gloire pour la société de musique, « Les Enfants d’Affreville ».
« Les Enfants d’Affreville ». La société fut créée, officieusement en 1883 et officiellement, statuts déposé à la préfecture d’Alger, le 27 décembre 1900. Une société qui se couvrit de lauriers. Pensez ! En 1883 tout le village l’acclama sur le quai de la gare, car elle ramenait d’Alger le premier prix de lecture à vue et le premier prix d’honneur. Les succès continuent jusqu’en 1914. Sur le livre d’Or de la société, on peut lire alors : « La période de 1902 à 1914 laisse dans la mémoire des anciens d’Affreville le souvenir d’une époque de prospérité. Grâce au chef Morizard et à l’aide de la municipalité Casimir Martin. La guerre de 1914 arrive. La plupart des musiciens vont faire leur devoir de Français. La société cesse toute activité jusqu’en 1919 »

  Elle renaîtra en 1929. Et avec elle,  « les Enfants d’Affreville » vont jouer au concours international de Genève. L’événement se prépare dans la fièvre générale. A leur retour c’est du délire : premier prix d’honneur !
Et la seconde guerre mondiale, qui cette fois encore, disloquera l’orchestre ! Pendant cette seconde guerre mondiale, le village connaîtra des jours surprenants. Il fera connaissance avec l’Amérique. En 1942, Affreville devient un relais pour les convois américains qui débarquent à Oran, et foncent sur la Tunisie. L’Affrevillois en était resté à l’Amérique de La Fayette. Il découvre soudain celle des rangers. Les convois arrivent à la tombée de la nuit. Ils campent au grand marché, le marché aux bestiaux, dont les murs ont été construits par les déportés politiques en 1851.
Si les Américains ne faisaient que camper ! Toilette faite, les G.I déboulent dans le village, tirent des pétards dans les réverbères et dans les glaces des bistrots, traquent les nymphettes, les poursuivent jusque chez elles, à l’indignation des pères – pas commodes- qui empoignent leur fusil de chasse….Bref, d’un commun accord, la population décide de fermer portes et fenêtres et faire le vide à l’arrivée des convois.

  Des Américains bien tranquilles..
  Jusqu’au jour où deux mille Américains viennent s’installer pour un temps indéterminé. Ils débouchent dans une ville morte. Les Arabes se claquemurent deux fois plus que les Européens car, au début, quand passaient les convois, des Mauresques ont été attrapées au lasso…
En fait, ces deux mille Yankees, accueillis par le silence – et quelle méfiance ! – forment le service cartographique de l’armée américaine en Afrique du Nord. Affreville tombera des nues en apprenant que c’est dans les docks, réquisitionnés par les arrivants, que ce sont préparées les cartes des débarquements en Corse, en Italie, dans le midi de la France. Ces Américains bien tranquilles passeront un an dans le village, et ce séjour se soldera par huit mariages…

  1945. C’est l’armistice. Des noms viennent allonger la liste déjà bien fournie, gravée sur la colonne du monument aux morts. Parviennent jusqu’à Affreville les sanglants échos de Sétif. Aux élections législatives du 19 octobre 1947, la liste du deuxième collège, qui porte l’étiquette M.T.L.D est élue par 840 voix sur 1221 votants. Comme l’a fait, à Alger Jacques Chevallier, le nouveau maire d’Affreville, Me C.Gougé, accueille au conseil municipal un adjoint de tendance M.T.L.D, M.Bouaraoua. C’est aussi la municipalité du dialogue et des entreprises d’habitat et de scolarisation mixtes. Quand la rébellion éclatera, les élus musulmans resteront à leur poste, il semblera qu’aucune pression ne s’exerce sur eux et comme Affreville restera calme pendant les deux premières années de la rébellion, on pensera que c’est un « coin tranquille ». En fait, la rébellion avait fait du village un centre de ravitaillement pour les bandes armées qui s’organisaient dans le massif de l’Ouarsenis, dominant la plaine. Affreville était située à l’intersection de trois zones de la wilaya 4. Et l’état-major de celle-ci ne tenait pas à mobiliser trop de militaires français dans ce coin en multipliant des attentats ou des embuscades dans cette région. Sous un calme apparent, la situation pourrissait lentement, sûrement et d’autant plus dangereusement que le quartier musulmans : de surcroît, trois briqueteries, une fabrique de plâtre et une carrière de pierre fournissaient le F.L.N en explosifs, grâce à des complicités, acquises de gré ou de force, parmi les ouvriers musulmans. Le destin du village était scellé, à n’en pas douter dès les premiers jours. Autant en emporte le vent.      Marie ELBE    ( Source Historia Magazine n°199)


    
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   TOUS  N’ETAIENT  PAS  MILLIONNAIRES (Texte de Louis Henry - source Historia n°399)
 

  L’idée que se font les métropolitains de tous les colons tient dans ces deux images : domaines somptueux et vastes cultures. Contre cette idée peu conforme à la réalité, Albert Camus lui-même s’éleva «  A lire une certaine presse, écrivit-il dans l’Express, il semblerait que l’Algérie fût peuplée d’un million de colons à cravache et à cigare montés sur Cadillac »

  L’idée que le colonat en Algérie n’était représenté que par des personnes riches à millions facilement gagnés est encore bien ancrée dans l’opinion française de l’hexagone. D’ailleurs, de nombreux pieds-noirs d’origine citadine se faisaient aussi une fausse idée des divers aspects de la condition des agriculteurs français d’Algérie.
  Comme dans toutes les professions, il y avait là-bas, de même que partout ailleurs, une gradation et, en milieu colon, on allait du « petit colon » jusqu’au « grand colon ». Dans un pays alors fort peu industrialisé, les grosses fortunes ne pouvaient se trouver que dans l’agriculture.

  Le fait grave, c’est que l’on a toujours tendance à assimiler la masse des agriculteurs français d’Algérie à ces gens. A côté de ces super-gros existait, presque dans chaque village d’Algérie, un gros cultivateur bien moins fortuné que les premiers cités, mais nettement plus riche que les autres agriculteurs du village. Les exploitations importantes sont le plus souvent nées de la très mauvaise conception de la colonisation, au départ. En effet, surtout dans les régions céréalières, lorsque furent créés les villages de colons, l’administration attribua des lots de superficie insuffisante pour être rentables. Par exemple, lors de la venue des colons suisses dans la région de Sétif, on attribua 18 hectares  par famille. Plus tard, dans la même région, on porta pour les immigrants français, la dotation à 40 hectares. Les postulants partant de Suisse, d’Alsace ou de Lorraine pensaient sans doute trouver 18 hectares, puis 40 hectares, de terre telle qu’ils la connaissaient chez eux. Mais dans ce pays semi-aride, il faut de huit à dix fois plus de surface pour la même production…

  Ainsi, on créa des villages comportant quarante à cinquante familles qui s’aperçurent rapidement à leurs dépens qu’elles ne pouvaient vivre sur ces petites surfaces. Et assez vite, le phénomène suivant se développa dans tous les villages. Quelques colons, soit plus opiniâtres, soit plus fortunés ou aidés financièrement par leur famille restée dans la province de départ, rachetèrent les terres des autres petits exploitants..

   Les gros possédants..
  Ceux qui furent contraints de vendre retournèrent dans leurs province ou, le plus souvent, constituèrent le noyau de population française des villes qui se créaient. De ce fait, chaque village de quarante à cinquante familles ne fut plus habité que par huit à dix familles de colons, une ou deux familles possédant les trois quarts des surfaces initiales et les autres se partageant le restant.
  Chaque village s’est donc retrouvé avec un ou deux colons importants, les autres colons, bien qu’ayant pu se maintenir, ne disposant que d’une surface à peine suffisante pour vivre à peu près correctement. Ces derniers continueront d’ailleurs à être à la merci des plus gros possédants et quand, à la suite de « mauvaises années », ils ne pouvaient plus équilibrer leur budget d’exploitation, ce sont les gros qui s’agrandissaient encore et certains d’entre eux, peu nombreux, devinrent de véritables potentats.
  Les gros possédant ont donc assis leur puissance, non pas à partir des terres appartenant aux autochtones, mais à partir des terres attribuées aux colons. La puissance économique allant de pair avec la puissance politique, à presque tous les stades de la représentativité rurale – mairies, conseils généraux, délégations financières, puis délégations à l’Assemblée algérienne, députation, Sénat – les mêmes se sont imposés.

  Dans un pays aussi rude, les plus faibles avaient toujours besoin des puissants : crédits à obtenir, places pour les enfants trop nombreux pour rester au village, etc…et, de la sorte, les ruraux modestes ont fait le jeu des autres jusqu’à sans avoir pu ou su se dégager de leur emprise.
  A la fin, les gros ont, bien entendu, perdu leurs terres d’Algérie, mais ils avaient suffisamment de réserves pour redémarrer en métropole. Beaucoup avaient d’ailleurs pris les devants et investi en France pendant que la piétaille se débattait là-bas.
  Souvent leurs employés exposèrent leur vie et beaucoup la perdirent alors qu’eux étaient déjà à l’abri. Lorsqu’il fallut partir, ces employés et les petits agriculteurs se retrouvèrent en France totalement démunis et, les plus âgés, dans des situations matérielles et morales plus catastrophiques encore. Durant les évènements d’Algérie, cette population rurale de petits colons et de gérants de domaines a été la plus atteinte par les assassinats du F.L.N. En effet, ces gens étaient les plus vulnérables, isolés dans le bled, obligés de quitter les agglomérations pour aller aux champs. De plus, ils constituaient très souvent un obstacle pour le F.L.N par l’étroitesse de leurs rapports avec beaucoup de fellahs de leur région : il fallait alors les éliminer.

  Pour revenir aux très gros domaines, il convient de signaler que certains appartenaient à des sociétés et étaient issus de complaisance gouvernementales au moment de leur création : c’est ainsi qu’à titre d’exemple je citerais la « Compagnie Genevoise », qui était chargée d’organiser la colonisation suisse, il ya plus de cent ans. Si cette compagnie n’offrait aux malheureux canndidats au colonat que 18 hectares, elle s’en est réservé 25 000 qu’elle a exploité jusqu’en 1959, les dividendes étant touchés par des inconnus suisses. A cette date, ces terres ont été rachetées par la C.A.P.E.R pour être distribuées à des agriculteurs musulmans. De la sorte, cette compagnie a réussi, deux ans avant l’indépendance, à vendre ses 25 000 hectares à un organisme d’Etat, alors que les colons, surtout les plus modestes, après avoir perdu leurs terrains, attendent toujours l’indemnisation dérisoire qui était prévue.


   La bonne entente régnait..
  De même, j’ignore en contrepartie de quels services Napoléon III accorda à la « Compagnie Algérienne » quelque 20 000 hectares dans la région d’Aïn-Regada. Cette compagnie a elle aussi exploité son immense domaine durant un siècle.
  Ainsi, s’il y avait de grosses fortunes personnelles et quelques-unes camouflées sous des « raisons sociales », dont le plus grand nombre de bénéficiaires ne résidaient pas en Algérie, une masse de petits exploitants français menaient, même avant les « événements », une vie très difficile en raison des aléas de la culture et de l’élevage, très liés aux caprices du temps. Les fermes et beaucoup de villages ne disposaient pas de l’électricité. La plupart des villages des hautes plaines ont reçu l’électricité en 1954 seulement, c’est à dire à la veille du déclenchement de l’insurrection. On s’éclairait à la lampe à pétrole. Les localités rurales des plaines littorales, plus riches, étaient mieux équipées et depuis longtemps. Les petits colons de ces régions viticoles et agrumicoles pouvaient compter sur un revenu plus sûr.
  Des appelés envoyés en Algérie pour le maintien de l’ordre ont pu avoir leur jugement faussé par le fait que lorsque des cantonnements militaires étaient établis dans des fermes, c’étaient toujours, ne serait ce qu’en raison des possibilités en bâtiments, des exploitations importantes que le commandement choisissait.

  Les petits colons du bled étaient en général peu instruits, ou arrêtaient la scolarité après le primaire pour aider à l’exploitation familiale. Les fermiers non installés au village ne rencontraient leurs concitoyens d’origine européenne qu’une fois par semaine, le jour du marché. Le reste du temps, ils ne côtoyaient que leurs ouvriers ou voisins d’origine autochtone dont ils connaissaient parfaitement et respectaient les coutumes. Tous ces blédards parlaient l’arabe aussi bien que le français.
  La bonne entente qui régnait souvent entre les petits colons et les exploitants arabes peut être illustrée par un exemple d’association capital-travail comme il n’y en a sans doute jamais existé ailleurs.
  Cette association, par accord verbal, liait des colons des hautes plaines à des éleveurs de moutons, nomades des steppes. Ces derniers, qui avaient des moyens financiers limités, accroissaient le revenu de leur élevage en s’associant avec un colon des hautes plaines à céréales. Ce colon pouvait obtenir plus de crédits grâce à son exploitation sédentaire. Il achetait des moutons qu’il confiait à l’éleveur nomade, lequel les adjoignait à son propre troupeau, qui circulait dans la steppe de point d’eau en point d’eau à plusieurs centaines de kilomètres de l’exploitation de l’associé.
  En été, après les moissons, la steppe étant alors totalement desséchée, le troupeau transhumait, remontait du Sud vers les hautes plaines, rejoignait l’exploitation du colon associé afin de paître les chaumes des céréales. A la fin de l’été le troupeau repartait vers les immensités du Sud.

  Le revenu des bêtes achetées en commun était partagé. Le colon avançait l’argent et fournissait la pâture d’été, le nomade et sa famille assuraient la garde du troupeau et sa survivance dans les steppes du Sud. Une telle association ne pouvait exister qu’à partir d’une confiance totale, car lorsque le responsable du troupeau s’en allait en septembre, il en était seul maître pendant dix mois, l’associé ne sachant même pas où le trouver.
  L’intérêt et la confiance réciproques, scellés devant Allah par une poignée de main ferme, ont fait que les litiges dans cette forme de coopération étaient très peu nombreux, et pratiquement on a que très rarement vu des différends graves entre associés.
Bien sûr, quelques centaines d’éleveurs nomades au maximum, sur les milliers que compotait l’Algérie, pouvaient tirer avantage de ce procédé, les autres étant plus miséreux.
  On retrouve là le grand problème de l’Algérie : la misère frappant les trois quarts de la population arabo-berbère.
  En milieu colon, il y avait donc de gros et moyens colons et de petits colons ; en milieu d’origine autochtone, il y  avait aussi de gros possédants, quelques moyens et une masse de petits fellahs pauvres par rapport aux petits colons, car ne possédant que très peu de terre. Si les petits colons arrivaient tout juste à équilibrer leurs comptes, ils menaient tout de même une vie décente bien que rude. Les fellahs moyens « s’en sortaient » également, ils amélioraient leurs techniques de culture à l’exemple de leurs voisins européens. Les nombreux petits fellahs vivaient et cultivaient de façon moyen-âgeuse. Leur pauvreté ne leur permettait pas de se servir d’autre chose que de l’antique arraire en bois tirée par des ânes faméliques pour effectuer les labours de leurs champs exigus qui, de ce fait même, ne pouvaient porter que de maigres récoltes.
  En plus de ces petits fellahs, la moitié de la population arabo-berbère de possédait presque rien et s’employait en partie soit chez les colons, soit chez les agriculteurs musulmans, à temps complet ou à temps partiel. La mécanisation ayant réduit les besoins en main-d’œuvre et la démographie ascendante mettant toujours plus de monde à la recherche de travail, il s’est créé une situation difficile. Une fraction toujours plus importante de la population musulmane ne pouvait s’employer, la misère s’accroissait. En l’absence d’une industrie importante locale, que n’avaient pas encouragés les gouvernants français depuis 1830 et à laquelle ne tenaient sans doute pas les industriels métropolitains, la seule planche de salut pour la masse miséreuse restait la France, qui pouvait offrir des emplois d’ouvriers.

  A la suite de la collectivisation des terres des Français d’Algérie lors de l’indépendance, rie n’a changé et malgré l’existence actuelle de l’industrie pétrolière, les candidats à l’émigration sont de plus en plus nombreux. Il est évident que si les agriculteurs français d’Algérie entretenaient de bons rapports avec un certain nombre d’agriculteurs musulmans et avec leurs ouvriers permanents, le déséquilibre numérique dans le bled, entre les deux populations faisait que, somme toute, peu d’indigènes étaient touchés par cette entente et que la masse miséreuse se trouvait en marge, disponible pour les agitateurs. Ces derniers entraînèrent beaucoup de pauvres, en leur désignant comme première cible les petits colons et les gérants français de domaines.  
  Ce drame de la misère en Algérie n’était pas que rural, il se retrouvait dans les villes, à cause justement du déséquilibre entre la démographie et le marché du travail ; il faisait éclater la différence de condition entre les habitants d’origine européenne, même les plus modestes, et la masse des habitants d’origine autochtone.
  De nombreux observateurs font ressortir ce fait, lais leur comparaison s’arrête là. Ils ne comparent jamais, à qualification ou moyens de productions égaux, le revenu des Français d’Algérie à ceux des Français de métropole. Si, dans un pays pauvre tel que l’Algérie (qui à l’époque ne tirait pas profit du pétrole), les Européens avaient en moyenne réussi à drainer vers eux plus de ressources par habitant que les autochtones, localement, ce n’était pas exact ; cependant, pour la grande partie de la population européenne, le revenu moyen était inférieur à celui des citoyens métropolitains possédant le même capital d’exploitation ou la même possibilité professionnelle. A ce sujet, les mieux placés étaient les fonctionnaires, qui à indice égal, percevaient une indemnité de résidence de 33% en Algérie, alors qu’elle n’est que de 15% en métropole.
  Les fonctionnaires d’origine autochtone avaient des salaires identiques. Cependant, pour les uns comme pour les autres, les avantages sociaux (allocations familiales, allocations logement, de maternité, etc..) n’étaient pas les mêmes qu’en métropole et étaient tellement inférieurs que, pour les familles, le revenu se situait au-dessous de celui qui était perçu en France. Seuls les célibataires bénéficiaient d’un petit avantage qui disparaissait lorsqu’ils fondaient un foyer.


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